AU SERVICE DE LA FRANCE

Recueillir les confidences sur sa vie passée d’un agent secret ?!!Tout de suite le personnage de James Bond vient à l’esprit…On pense au service-action où à l’opposé aux réceptions en smoking !! Oui mais voilà : pour Christian Souillé, les mots de service secret ou d’espionnage ne sont jamais employés et en fait le seul rapport avec James Bond semble bien avoir été le port très rare  du smoking en certaines occasions… ! Mais pourquoi un « ancien », disons agent d’information parle t-il ? Est ce que l’agent déclencheur comme dans un roman d’espionnage est une femme ? En l’occurrence la deuxième épouse de Christian : Claudette.En réalité comme dans toute affaire d’espionnage bien construite est ce que l’objectif réel et caché de ce texte ne serait pas finalement autre chose ? Essayer de reprendre contact avec une enfant avec laquelle a eu lieu une rupture très douloureuse il y a bien longtemps ?Mais au fait comment devient-on un personnage ayant en quelque sorte, une double vie ?

Être l’enfant mâle unique d’un fonctionnaire français servant au Maroc dans les années 30, cela laissait plutôt présager pour la suite une vie tranquille et facile pour le jeune lycéen de Rabat. Oui mais voila ! En novembre 42 la seconde guerre mondiale touche directement le Maroc, avec le débarquement des Américains, et le jeune Christian se retrouve tout d’un coup comme tous les autres mobilisé dans la nouvelle armée française où il va devenir officier dans l’artillerie ; puis débarquement en France en aout 44 et premiers combats en Alsace dans la neige de l’hiver 44 45…

Fin de la guerre le 8 mai 45 et Christian est volontaire pour partir en Indochine, dans son esprit et dans celui de beaucoup de ses compagnons c’est une suite logique de la seconde guerre mondiale ; la France récupère ses anciennes colonies…

Mais cela ne se passe pas comme prévu et l’opération de police se transforme en combats incessants : c’est la guerre d’Indochine.

Devenu commandant d’une batterie d’artillerie,Christian Souillé participe aux combat mais aussi il a une position en retrait par rapport à la première ligne ; finalement comme il le dit pour un homme jeune, « une vie pas si désagréable et une sorte d’aventure ».

Le retour dans son Maroc natal en 1954 marque une rupture. Cette fois ci dans un pays sous protectorat de la France ; en tant qu’officier des affaires indigènes parlant arabe, il s’agit de gérer au coté des responsables marocains une très vaste région allant du sud d’Agadir à Ouarzazate ; il faut intervenir avec doigté dans tous les domaines que ce soit la justice, l’économie ou la perception des impôts…mission accomplie.Puis en 1956 le Maroc devient indépendant.

Le service de la France s’effectue désormais depuis la Mauritanie nouvellement indépendante. Il faut avoir des informations permettant d’éviter les incursions d’alliés du F.L.N. dans des zones du sud de l’Algérie qui est encore territoire français. En 1962 l’Algérie étant indépendante, cette mission n’a plus d’objet…l’époque des colonies c’est fini !

L’histoire de Christian pourrait à ce moment se terminer tranquillement dans une vie allant de caserne en caserne …

Oui mais c’est l’époque de la guerre froide et ses capacités d’être à la fois un homme de terrain et quelqu’un capable de faire des rapports de synthèse précis et équilibrés sont utilisées par le S.D.E.C.E : le Service de Documentation Extérieure et de Contre Espionnage (aujourd’hui la Direction Générale de la Sécurité Extérieure ). Le voilà désormais «  lancé » dans les ambassades, dans des pays dont on ne sait pas très bien s’ils sont à l’est ou à l’ouest ;ce sont les zones grises de la Guerre froide. Il faut des hommes capables de recouper des informations pour fournir des analyses fiables ; d’où les séjours au Ghana puis en Yougoslavie… Dans ce genre de travail, deux pays c’est un maximum car on a forcément été repéré par l’adversaire, donc pas question d’une troisième ambassade.

A partir de là c’est un travail d’analyse à Paris dans les bureaux, « la centrale », jusqu’en 1981 date de sa retraite effective

Problème pour l’historien qui recueille le témoignage : quelle est la véracité des souvenirs lorsque l’on raconte des faits survenus 30 ou 50 ans auparavant? Et surtout qu’est ce qui est dit et où est le non-dit ?

Le noble métier du renseignement, tant apprécié des anglo-saxons, a bien mauvaise réputation en France. Que dire ? Que ne pas dire ?quand on a été un agent d’information pour ne pas dire quelquefois un agent secret ? Où passe la ligne jaune à ne pas franchir ? Ne rien dire c’est laisser la porte ouverte à la rumeur, c’est laisser penser qu’on exerçait un métier honteux de « barbouzard ». Tout dire, même longtemps après c’est donner des armes à ses adversaires d’hier et d’aujourd’hui Comme le disait en 1954 le général Rivet : « c’est une périlleuse tentative que de vouloir parler ou écrire aux frontières de nos secrets nationaux ».

Les anecdotes ne sont pas recommandées, notamment sur l’époque du travail à la « centrale »,donc évidemment cela retire de l’intérêt anecdotique, mais du coup et c’est bien, on met davantage l’accent sur les faits globaux et sur les idées.Si on rentre dans les détails cela peut servir à des gens qui ne sont pas recommandables.et pour l’historien c’est vite invérifiable !

Au total, ce métier de l’armée ou du renseignement fut aussi une aventure,tout cela se passait dans une période qui est une sorte « d’âge d’or » du renseignement en France avec des objectifs qui étaient clairs : servir un idéal patriotique, défendre la France.