Mais où est donc passée la Compagnie Bordelaise des Produits Chimiques ?
En 1891 deux frères, Sylvain et Jules MATHIEU créent la Compagnie Bordelaise des Produits Chimiques ,société destinée à produire des engrais chimiques, dans le cas précis : des superphosphates pour l’agriculture.
L’affaire prospère rapidement et prend ensuite un développement considérable. De très grandes usines sont bâties à Bordeaux, Sète, et Rouen. En 1926, l’inauguration de l’usine de Nantes, la plus puissante d’Europe, est sans doute l’apogée de l’entreprise.
Celle-ci en difficultés suite à la crise de 1929 doit s’adosser à un partenaire plus puissant : Kuhlmann.
En 1960 la Compagnie Bordelaise des Produits Chimiques affirme fièrement qu’elle est n°3 en France pour la production des engrais chimiques mais en 1965 elle est absorbée par Kuhlmann.
En 2021 on peut se demander si la Compagnie Bordelaise des Produits Chimiques a jamais existé ; il y a « un oubli persistant ».
Dès 1975 son empreinte dans la description du paysage industriel français semble disparaître.
Un livre qui s’intitule « Une multinationale française, Péchiney-Ugine-Kuhlmann » écrit par un universitaire français, connait un vrai succès à la vente, mais le lecteur à beau chercher, il ne trouve nulle part mention de la Compagnie Bordelaise des Produits Chimiques.
Un dictionnaire historique des patrons français écrit par des historiens renommés en 2010 et qui compte 1600 pages ne mentionne pas la Compagnie Bordelaise ni les MATHIEU !
Un excellent livre très documenté paraît en 2011, écrit par un historien japonais spécialiste de la question « Les entreprises de la chimie en France de 1860 à 1932 » là aussi, rien sur la Compagnie Bordelaise des Produits Chimiques qui est absente de l’index.
Aurions-nous une chance en cherchant à Bordeaux directement ? La première idée c’est d’aller chez la grande librairie MOLLAT : plusieurs personnes cherchent sur leur ordinateur mais aucune référence sur la Compagnie Bordelaise. Ensuite un petit tour sur internet et en présentiel s’impose à la grande bibliothèque de Bordeaux à Mériadeck : il y a plus d’un million de documents, mais là encore il n’y a rien dans sa base de données sur la Bordelaise.
Pire, pas de traces nulle part des archives de la Compagnie Bordelaise des Produits Chimiques ni de sa filiale l « Les Docks Industriels »
En 2021 les bâtiments des usines en France ont tous disparu.
Tout cela dans un contexte où les industries chimiques en général ont une image calamiteuse dans les grands médias. Y sont dénoncés en permanence les atteintes à l’environnement, les maladies et les décès qui découlent de l’activité de cette industrie. Il faut cesser d’utiliser les pesticides, les engrais chimiques qui sont en contradiction totale avec toute agriculture biologique et tout autre produit dérivé. Les mots employés sont quelque fois violents ; les usines sont des « vitrioleries » qui « contaminent le monde », il faut déclarer « la guerre aux cheminées » Les engrais « maudits »spécialement les superphosphates, seraient responsables d’ostéoporose et de cancer. Les engrais naturels seraient suffisants pour nourrir la planète.
A Rome, l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture « FAO » a supprimé à la fin du XXème siècle son service engrais chimiques.
Mais changement de paysage si l’on se place du point de vue universitaire. Récemment de grandes thèses sont parues sur l’histoire des engrais chimiques.
Ces ouvrages sortent de la vision uniquement pessimiste : les problèmes d’environnement, la condition des travailleurs, les crises comme celle de 1929. Ils analysent le contexte de l’époque, montrent un certain décollage économique.
Quelques entreprises dirigées par « des bourgeois conquérants » sont même très dynamiques, c’est le cas de la Compagnie Bordelaise des Produits Chimiques.
En ce qui concerne cette société, on peut se demander comment dans une région aussi peu industrialisée que le Sud-Ouest à la fin du XIXème siècle des entrepreneurs comme les frères MATHIEU qui n’étaient ni ingénieur ni banquier, ni chimiste ont réussi à prendre le dessus sur des dizaines d’entreprises concurrentes. Leur société si l’on en juge par les acquisitions de plusieurs châteaux par les dirigeants, est particulièrement prospère avant 1929. Comment expliquer ce succès remarquable ?
Pour notre recherche nous avons eu accès, notamment à deux types d’archives : les archives familiales, photos, mémoire de PDG, lettres confidentielles entre membres du conseil d’administration …du côté des banques, le Crédit agricole a conservé de nombreux rapports réalisés sur l’entreprise.
En revanche peu après 1965 l’intégration dans Kuhlmann, apparemment offrait de solides garanties pour la continuation d’une certaine autonomie. Mais ensuite, comment comprendre la disparition très rapide, puis totale du paysage industriel français de cette entreprise ?